Entrecroisements
Fosses (FR) – Mentionné
DONNÉES DE L'ÉQUIPE
Représentant d'équipe : Morvan Rabin (FR) – urbaniste ; Associés : Alline Correa-Bouric (BR), Vincent Prié (FR) – architectes urbanistes
Collaborateur : Tangi Rabin (FR) – paysagiste
terau@mailoo.org – www.terau.fr
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M. Rabin et A. Correa Bouric
INTERVIEW
1. Comment s'est constituée votre équipe à l'occasion du concours?
Nous nous connaissons depuis notre dernière année d’étude réalisée au sein de la même formation à l’Institut d’Urbanisme de Paris. Le site de Fosses, par les problématiques qu’il permet d’aborder (territoires de la dispersion, « suburbanisme », agriculture, patrimoine, espaces publics, hydrologie, etc.), se prêtait bien à l’expression de la diversité de nos centres d’intérêt et domaines de compétences respectifs (géographie, développement territorial, composition urbaine, architecture, paysage, environnement, agronomie, botanique, etc.)
2. Pouvez-vous définir la problématique principale de votre projet, en insistant sur votre manière de répondre à la question centrale de la session : lʼadaptabilité et les rythmes urbains ?
Nous avons cherché à comprendre dans quelle mesure l’étude des grandes structures territoriales à une échelle large et dans des temporalités longues peut servir à définir les principes fondamentaux du projet à l’échelle du site. Nous nous inscrivons en cela dans le concept de « longue durée » créé par l’historien Fernand Braudel, qui distingue trois types de temporalités : la longue durée des structures géographiques, le moyen terme des conjonctures socio-économiques, et la ponctualité des évènements d’ordre politique.
En déclinant cette logique de différenciation des rythmes au projet urbain, il s’agit, par l’analyse territoriale, d’identifier une structure (géographique, urbaine, paysagère) et des logiques d’organisation (de l’espace, des acteurs, du processus) suffisamment ancrées et partagées pour qu’elles puissent s’adapter aux conjonctures socio-économiques et politiques de l’aménagement.
3. Comment cette problématique et les questions posées par la mutation du site se sont-elles croisées ?
Tout l’enjeu est de trouver des raccourcis entre d’une part, la grande échelle territoriale et la longue durée et, d’autre part, l’échelle du site et les interventions fines qui y seront menées.
Prenons un exemple : l’histoire potière du village de Fosses et de la vallée de l’Ysieux, qui a commencé il y a plus de 1400 ans. Cette thématique est au cœur du projet puisque une des principales composantes du programme est l’implantation d’un centre d’interprétation de l’histoire potière au cœur du village. A l’échelle territoriale, elle nous conduit à repositionner le village dans la vallée historique de l’Ysieux, c’est-à-dire à regarder autant vers l’ouest (à l’aval, en direction des autres villages de potiers) que vers l’est (à l’amont, vers le centre-ville de Fosses). A l’échelle du site de projet, elle implique de considérer que le lien aujourd’hui disparu entre le village et la rivière est un principe fondamental des futures interventions, puisque l’argile qui servait à fabriquer les poteries était extraite dans des fosses situées au bord de la rivière.
La question de l’adaptabilité est traitée selon trois thématiques complémentaires (le village et son tissu historique ; l’agriculture entre plateau et fond de vallée ; le tissu pavillonnaire environnant), abordées à l’échelle régionale et déclinées à l’échelle du site. Du point de vue architectural et urbain, chaque typologie d’habitat a été définie en fonction de son contexte paysager (« maisons-serres » bordant l’espace agricole, « fermes réinterprétées » dans le cœur de village, etc.) et chaque typologie d’espace public a fait l’objet d’une réflexion fine pour s’adapter à un contexte paysager très sensible.
4- Avez-vous déjà traité cette problématique précédemment et pourriez-vous présenter quelques projets références pour le vôtre ?
Cette problématique sous-tend de nombreux projets d’urbanisme menés à l’heure actuelle, donc nous l’avions déjà traitée sans toutefois l’aborder de manière aussi directe et immédiate.
Plusieurs démarches font figure de référence pour notre projet.
L’approche du studio Secchi & Vigano nous semble essentielle par son souci constant de raccourci entre les échelles de réflexion et (partant) entre les temporalités de projet. Ils l’ont notamment démontré dans des projets menés à Anvers (schéma d’aménagement stratégique à l’échelle de la ville et aménagements concomitant du parc Spoor Noord et de la place du théâtre) et à Courtrai (plan directeur de la ville suivi de l’aménagement de la Grand-Place et d’un cimetière).
Les réflexions de l’« école de Genève » autour d’André Corboz, Alain Léveillé et Georges Descombes constituent une autre référence incontournable sur les thématiques de la « ville-territoire », du patrimoine urbain et des périphéries urbaines. Mené par Georges Descombes, l’aménagement progressif (entre 1979 et 1989) et participatif du parc du Lancy le long d’un petit cours d’eau au sud-ouest de Genève en constitue un très beau manifeste.
D’autres projets nourrissent notre approche, sur des thématiques multiples : l’adaptation participative du logement avec une redéfinition de l’utilité du temps du chantier (îlot Stephenson à Tourcoing, agence Construire) ; l’adaptation et l’extension du tissu d’un village historique pour accueillir de nouveaux programmes (Maison des arts à Vauhallan, Alexandre Chemetoff) ; l’adaptabilité des structures agricoles pour répondre aux enjeux contemporains (ferme en permaculture au Bec Hellouin) ; le rapport à la matière, au temps et au vernaculaire (Les Sablettes à La Seyne-sur-Mer, Fernand Pouillon), etc.
5- Aujourd'hui, à l'ère de la crise économique et du développement durable, le projet urbano-architectural doit repenser son mode de fabrication dans le temps ; de quelle manière avez-vous intégré la question du projet processus?
Nos trois entrées thématiques (« adapter l’agriculture », « adapter le village » et « adapter son logement ») possèdent chacune leur propre mode de fabrication dans le temps : elles correspondent à des configurations d’espaces, des systèmes d’acteurs, des logiques de mise en œuvre et des temporalités variables.
L’approche du projet par une analyse territoriale d’échelle large répond également à cette question du projet-processus. Elle vise à dépasser le statut ambigu du concours (travail « en bocal » sans possibilité de réelle concertation avec les habitants et les expertises d’usages) qui appartient à des procédures traditionnelles et linéaires de fabrication du projet : concours / sélection / ajustements / mise en œuvre. Nous avons donc privilégié l’identification des fondements et de la structure du projet. Les possibilités mises en évidence pourront d’une part être amendées et complétées par des propositions ultérieures et d’autre part se déclencher à des moments différents (voire ne pas se déclencher) sans perdre la cohérence d’ensemble.
Par ailleurs, le projet s’interroge autant sur le « comment faire » que sur le « quoi faire ». La faisabilité des propositions est un élément central de notre projet (ce qui n’empêche pas une vraie radicalité), tout comme l’étude de moyens de mise en œuvre : participation citoyenne à toutes les étapes, chantier considéré comme un moment de vie sociale et de compréhension du projet, intégration de modes de production davantage ancrés dans le territoire (matériaux, savoir-faire, entreprises), modalités d’insertion de nouveaux statuts d’habitat dépassant le clivage propriétaire / locataire, exploration d’une nouvelle économie de l’aménagement, préfiguration de certaines réalisations d’espaces publics par des installations temporaires, etc.
6- Est-ce la première fois que vous êtes primé à Europan? De quelle manière cela peut-il vous aider dans votre parcours professionnel ?
Nous sommes primés pour la première fois à Europan. Cette reconnaissance vient conforter la pertinence d’une approche du projet d’urbanisme fortement ancrée dans le territoire, comme l’a été à une toute autre échelle l’attribution du Grand Prix de l’urbanisme à Paola Vigano. Il s’agit d’un catalyseur pour nos projets collectifs et d’un élément facilitateur pour nos parcours professionnels respectifs.