La théorie de l'évolution

Moulins (FR) – Lauréat

DONNÉES DE L’ÉQUIPE

Représentant d'équipe : Benoît Barnoud (FR) – architecte paysagsite ; Associée : Clara Loukkal (FR) – urbaniste géographe paysagiste

LAND, 28 rue du Canal, 93200 Saint-Denis – France
+33 6 83 37 46 12 – land.paysage@gmail.com

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B. Barnoud & C. Loukkal

 

INTERVIEW
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1. Comment s'est constituée votre équipe à l'occasion du concours?

La complémentarité de nos approches par l’urbanisme et l’architecture, avec le paysage pour dénominateur commun, nous permet d’envisager les questions urbaines à travers un large spectre de disciplines. Après plusieurs collaborations, le site proposé à Moulins nous a semblé un terrain favorable pour appréhender ensemble la fabrication de la ville par le prisme du paysage.

2. Quelle est la problématique principale du projet et comment avez-vous répondu à la question centrale de la session : lʼadaptabilité à travers l'Auto-Organisation, le Partage et/ou le Projet (Processus) ?

La ville est une structure vivante en constante évolution. Nous nous sommes attachés à comprendre non pas quelles seront les transformations futures, mais quelles pourrait être leur moteur. Pour cela, nous avons sollicité le corpus des sciences naturelles, où sont développés les concepts d’adaptabilité, de transformation et d’évolution. Les chercheurs de ces disciplines se sont attachés à une simple question : comment les espèces vivantes évoluent-elles afin de garantir leur survie face à des modifications de leur environnement ? Deux doctrines s’affrontent : la théorie du transformisme de Lamarck et la théorie de l’évolutionnisme de Darwin. Ces postulats opposés dans le champ des sciences se révèlent complémentaires dans l’analyse des dynamiques urbaines et constituent les outils de projet de la ville adaptable.

 

3. Comment la problématique et les questions posées par la mutation du site se sont-elles croisées ?

La structure urbaine de la ville de Moulins découle de deux processus de temporalités différentes.
D’une part, une lente évolution dont l’Allier est la pièce maîtresse. Les lignes de ponts, les crues de l’Allier et de ses affluents, les digues et les terrains inondables constituent un maillage puissant sur lequel le projet peut prendre appui. Cette structure géographique se transforme de proche en proche, les ruptures n’y sont pas franches, à l’image de la théorie du transformisme de Lamarck. Une sorte d’optimisation perpétuelle de la structure à son environnement s’opère. La ville est alors la coproduction de l’ensemble de ses habitants.
D’autre part, la ville est le théâtre d’une lutte concurrentielle où les opportunités sont saisies suivant le modèle de l’évolutionnisme établit par Darwin. La compétition entre les espèces pour la survie peut être interprétée comme une compétition économique dont le tissu urbain est la résultante. La valeur marchande des emplacements, le prix des loyers, l’efficacité de la desserte sont les facteurs déterminants de la fabrication de la ville. Celle-ci apparaît alors comme une somme des parcours individuels.
La ville est le lieu de la combinaison de ces deux mécaniques associant mutations rapides et inertie de la structure territoriale héritée.

 

4. Avez-vous déjà traité cette problématique précédemment ? Quels ont été les projets références pour le vôtre ?

La structure géographique des territoires habités comme vecteur opérationnel de transformation est au cœur de nos préoccupations. Si le site de Moulins constitue un exemple représentatif de cette imbrication entre infrastructure, paysage, et ville, d’autres projets nous ont permis de construire cette méthode. A Kiev, le cours d’eau anastomosé du Dniepr, induit un développement par archipel de l’urbanisation. A Achères, l’intérieur du méandre inondable de la Seine propose une structure parallèle au fleuve, soulignée par les infrastructures, et qui a dictée à la ville son implantation à distance de l’eau.
Plus largement, l’approche par les paysagistes des questions urbaines à l’échelle territoriale nous semble féconde. Le topographie, l’hydrographie, la géologie et la nature des sols sont alors considérés comme les vecteurs déterminants de l’évolution des villes. Les exemples laissés notamment par Claude Nicolas Forestier en Argentine ou au Maroc, par Jacques Sgard à Beyrouth, ou par Michel Corajoud sur la plaine Saint-Denis ou à l’Isle d’Abeau constituent les jalons de cette approche pluridisciplinaire et ouverte de la ville.

 

5. Aujourd'hui, à l'ère de la crise économique et du développement durable, le projet urbanoarchitectural doit repenser son mode de fabrication dans le temps ; de quelle manière avez-vous intégré la question du projet processus ?

Une première posture considère qu’à la situation économique précaire doivent correspondre des projets qui améliorent instantanément la qualité des sites d’intervention. Pourtant, à ces tentatives d’aménagement rapides qui confèrent une qualité immédiate au lieu (Darwin) doit nécessairement s’amorcer l’installation des structures territoriales pérennes et soucieuses de l’existant (Lamarck). Ici, le paysage apparaît tant comme outil de lecture des formes héritées que comme méthode de transformation et levier d’action.

6. Est-ce la première fois que vous êtes primé à Europan? De quelle manière cela peut-il vous aider dans votre parcours professionnel ?

La réflexion globale impulsée par la thématique de la « Ville adaptable » devra être mise à l’épreuve des contraintes opérationnelles de la ville de Moulins. Nous espérons que les perspectives ouvertes par cette réflexion permettront d’engager un débat fécond avec les acteurs locaux afin de transformer le visage de la rive gauche de Moulins.