L’hypothèse du prendre soin
Europan met en ligne les résultats d’une recherche qui a été effectuée sur l’analyse des projets Europan, lauréats et mentionnés, en se centrant principalement sur la trilogie des sessions intitulées Villes Adaptables (Europan 12 et 13), Villes Productives (Europan 14 et 15) et Villes Vivantes (Europan 16 et 17), du point de vue d’une hypothèse du « prendre soin » dans la conception architecturale, urbaine et paysagère. Ce regard devient stratégique dans ce contexte de vulnérabilité des milieux habités, impactés par le changement climatique produit par un système productiviste sans limite et une domination par l’homme de la nature.
Vers des projets régénératifs : l’hypothèse du prendre soin Les grands récits de soin et de justice socio-spatiale constituent de nouvelles dynamiques bifurcatrices dans les manières de faire établissements humains. Dans un contexte de dérèglement climatique, de chute de la biodiversité et d’inégalités criantes, il s’agit tout à la fois de comprendre et de changer les relations à la nature, à l’autre et à soi-même, en activant les puissances du prendre soin et en résistant aux formes de domination pour répondre aux vulnérabilités.
La culture du prendre soin ne s’adresse pas seulement aux domaines du sanitaire et du social. Tout en les englobant, elle les déborde largement. Cette approche constitue un seuil à la fois éthique, esthétique et politique. Le sens même de l’architecture et de ce dont elle est existentiellement en charge, soutenant la vie en son devenir, s’en trouve régénéré au plus près des situations et des expériences incarnées, dans la proximité et le lointain. Dans cette optique, l’enjeu est d’éveiller les sensibilités, de susciter les gestes attentionnés et les responsabilités afin non seulement de répondre de ses actes mais de répondre à ce qui met en contact, à ce dont on dépend, à ce à quoi on tient, à ce qui tient encore et à ce qui nous affecte. Cet ethos - en tant que manière de se tenir au monde - est pétri d’appartenance, d’interdépendance mais aussi de reconnaissance et de transmission, prenant en considération tout à la fois les diversités culturelles et les autres vivants, l’ordinaire et l’exceptionnel, les empreintes et les impacts. Il est question de faire émerger des formes de renaissance, des métamorphoses ressourçantes.
Quatre matrices de pensée et d’action sont particulièrement significatives des projets régénératifs du prendre soin : l’accueillance, la maintenance, la portance et l’accordance. Chacune d’entre elles est subdivisée en deux sous-parties qui en déterminent des facettes principales. Ces quatre matrices processuelles de réflexions et d’actions donnent lieu à des enchevêtrements des passages, des symbioses et des synergies qui entretiennent et réinventent une pluralité d’approches du prendre soin en architecture.
LES AUTEURS
Ont contribué à cette recherche les personnes suivantes :
Pierre-Marie Auffret, architecte urbaniste, maîtrise d’usages, atelier Isla
Céline Bodart, architecte, Dr en architecture, chercheuse, professeure
Didier Rebois, architecte, enseignant, SG Europan
Charline Rollet, architecte, enseignante, Bureau Polyptyque
Chris Younes, psychosociologue, Dr en philosophie, chercheuse, professeure
Accueillance
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Accueil de nouveaux usages et de nouveaux entrants
Les sociétés sont confrontées à un mouvement accéléré de transformation et reformation des usages et à un brassage des populations modifiant les spatialités et les coexistences. Comment traiter ces diversités, flux et instabilités ?
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Accueil de la biodiversité
Il est question de l’importance de faire place au vivant, ce qui se traduit par une immersion renforcée avec les plantes et les animaux avec une attention à ce qui participe de la santé des écosystèmes
Maintenance
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Réparation - Remédiation
Opérations par lesquelles s’établissent des reprises matérielles et immatérielles, des recyclages visant à s’accommoder aux aléas du temps qui passe et à la vie quotidienne tout en veillant à revitaliser ce qui a été abîmé.
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Réemploi - Réutilisation
Manière de « se ressouvenir en avant » en réemployant ou réutilisant des matériaux, des édifices et des infrastructures tout en modifiant leurs usages précédents. Il s’agit de proposer de nouveaux usages tout en participant de la résilience d’un milieu habité en connexion avec des dynamiques transcalaires et évolutives.
Portance
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Traces historiques et mémoire
Les traces, les mémoires, les données passées, les valeurs jouent un rôle structurant dans les milieux habités, entremêlant matérialités et immatérialités déterminantes pour en appréhender les expériences individuelles et collectives. Comment s’articulent les continuités et discontinuités.
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Forces géologiques, géographiques et climatiques
L’idée de substrat naturoculturel structurant est une facette déterminante de la révélation d’un territoire en mouvement au sein d’une géographie commune plus large, à savoir la reconnaissance des forces géologiques et géographiques qui l’animent : climats, montagnes, vallées, fleuves, forêts, champs… mais aussi des forces productives. Comment s’engagent différentes échelles problématiques et spatiotemporelles correspondant à la re-création de figures territoriales basées sur les grandes permanences et transformations du milieu ainsi qu’aux cohérences d’ensemble déterminées par ses résistances et ressources ? Ces enjeux croisent aussi ceux liés à la transformation des conditions climatiques : comment développer des stratégies d’adaptation pour affronter les nouveaux risques et situations extrêmes (inondations, submersions, sécheresses, canicules, …) ? Comment tout à la fois anticiper et faire face à l’imprévu ?
Accordance
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Entre les milieux
Réinventer la rencontre des milieux, en tirer parti, les rendre compatibles est un défi : tel entre ville et agriculture, ville et campagne, ville et industrie, ville et fleuve, ville et forêt… Comment les entrelacer ?
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Entre les parties prenantes
Dans la multiplicité des voix en jeu, entre les intérêts, les besoins et les attentes, les rivalités et désaccords se multiplient. Comment reconnaître et composer avec et au risque des différences et divergences ? Comment impliquer les parties prenantes humaines et non humaines ?