Débat 1 - Thématique Europan 12 : Points de vue experts et villes
Forum des Sites - Malmö (SE) - Débat 1
Introduction
par Chris Younès, membre du conseil scientifique d’Europan
Philosophe et anthropologue, Chris Younès est membre du Conseil Scientifique d’Europan et elle travaille sur des questionnements similaires avec des villes comme Rennes, Le Havre et Bruxelles.
et Didier Rebois, architecte, enseignant et Secrétaire général d’Europan
Chris Younès : Le thème de la ville adaptable met en jeu la question des diversités et des multiplicités de situations singulières, mais aussi celle des représentations. Le XXe siècle a été le terrain d’affrontement de deux visions fortement antagonistes quant au devenir des milieux urbains :
- l’idée d’une ville maîtrisée par la planification et des modèles de développement ;
- l’idée d’une ville spontanée échappant au contrôle.
Aujourd’hui dans un contexte d’incertitude radicale et de crise, ces deux visées se trouvent supplantées ou complétées par des formes de projet d’un autre type, avec l’idée de la nécessité de faire du sur-mesure et celle de l’importance de pouvoir se redéployer au bon moment. C’est une autre écologie de l’action où la question est d’imaginer des possibles situés, à la fois transcalaires, transmilieux, transactionnels. Les projets d’Europan peuvent en ce sens constituer des creusets du futur, des sortes de récits du futur des sites, des scénarios de résilience liés aux évolutions des modes de vie, des valeurs et des processus opératoires.
Ce thème de la ville adaptable est un fil conducteur, un levier par rapport aux enjeux cruciaux auxquels les villes doivent faire face. Nous proposons au débat trois enjeux en particulier, qui se trouvent plus particulièrement corrélés à cette thématique.
ENJEU 1 : PENSER LA VILLE ADAPTABLE, C'EST PENSER COMMENT EST DONNÉ À HABITER, COHABITER, PARTAGER DES ESPACES
Chris Younès:Un milieu habité est toujours en adaptation. Habiter et donner à habiter, c’est s’adapter aux évolutions des modes de vie. Cela ne renvoie pas seulement à l’habitat mais à une façon anthropologique d’être au monde mettant en synergie la partie et le tout, soi et les autres, l’humain et le non-humain. Cela implique une tension et une double appartenance entre l’ici et l’ailleurs. Ce n’est pas une fixation territoriale figée, mais un espace qualitatif ouvert, chargé de mémoire et de nouveauté.
La complémentarité du local (spécificité d’un milieu), du translocal, du proche et du lointain, est des plus fécondes. Le global, le translocal tend à empêcher le local de se fermer sur lui-même, et le local préserve les milieux habités d’une homogénéisation mortifère.
Dans cette rencontre, la place des espaces partagés s’avère déterminante : leur nécessité pour faire ville, mais aussi leurs nouvelles configurations qui engagent une manière politique et esthétique de vivre ensemble, de se fixer et de se déplacer.
Les espaces partagés, ce sont aussi des espaces de paroles partagées, des processus donc permettant d’associer des catégories de personnes très différentes dans la réflexion et l’élaboration des scénarios les plus appropriés à des métamorphoses soutenables.
Didier Rebois : Deux projets réalisés issus d’Europan illustrent la résonnance de ce thème de l’habiter dans le concours.
Le premier projet est la transformation d’un gros « caillou » au milieu de la ville d’Alicante en Espagne avec un climat très sec. Le problématique du concours portait sur la bande frontière entre la ville et cette colline. L’équipe française primée, Obras architectes, a proposé de ne pas se limiter à la bordure, mais de faire de ce terrain aride, dominé par une forteresse, un vrai parc, aujourd’hui le parc de la Ereta très apprécié des citadins et des touristes. Le territoire pentu n’était pas approprié par les habitants, alors qu’aujourd’hui il est « habité ». Par sa localisation, en surplomb du centre ville, on voit le parc de partout. Lorsqu’on est à l’intérieur, on a un rapport avec le territoire, l’horizon et la mer. On est à la fois dans ce rapport à l’horizon, dans cette relation au global et, en même temps, à l’échelle locale, le parc est formé d’une multiplicité d’espaces minéraux et végétaux variés qui permettent aux gens de se promener, se reposer, travailler, etc., où la prise en compte des usages est très soigné. C’est un lieu qui, malgré son aridité et grâce au fait qu’il ait été transformé et adapté, connaît des pratiques urbaines intéressantes.
Chris Younès : On voit dans ces deux projets la puissance de la question des stratégies de métamorphose d’un milieu. Comment un milieu va pouvoir se transformer et renaître de ses cendres sous une autre forme. Et c’est très intéressant, car bien souvent les villes posent la question de notion d’identité d’un lieu, d’un milieu, et à travers ces exemples, on voit comment cette identité et sa spécificité sont en mouvement : c’est la même chose et en même temps, c’est autre chose. Le paysagiste Gilles Clément a aussi beaucoup développé l’idée de paysage en mouvement et cette notion d’identité en mouvement est certainement aussi intéressante à cultiver avec l’idée que quelque chose devient, mais devient aussi autre chose. Donc là, je trouve qu’Europan a déjà beaucoup de scénarios, de stratégies ou de possibilités de devenir.
ENJEU 3 : PENSER LA VILLE ADAPTABLE, C'EST AUSSI ENVISAGER LES FORMES D'UNE NOUVELLE ALLIANCE DE LA VILLE ET DE LA NATURE, AINSI QUE LE PARADOXE DU DÉSIR ET DE LA HAINE DE LA NATURE
Chris Younès : Le désir extrêmement puissant de nature dans un monde urbain ne renvoie pas à un retour à un monde antérieur, comme une nostalgie ou une naïveté, ou encore comme un refus de la ville, mais comme la recherche d’une autre façon d’habiter la ville et de faire établissement humain. C’est une nouvelle politique de civilisation qui est à développer, comme le souligne Edgar Morin. A un imaginaire techniciste qui a orienté un certain modernisme se superpose désormais celui de la quête d’une nouvelle alliance entre nature et urbain, afin d’accorder les rythmes de l’homme et de l’univers. La nature, mystérieuse puissance de genèses et de métamorphoses toujours renouvelées, suscite à la fois des émotions fortes, des expressions poétiques, urbaines et architecturales, ainsi que des réévaluations éthiques et esthétiques. Elle désigne l’eau, la terre, l’air, le feu, la faune, la flore, les rythmes des saisons, du jour et de la nuit, du cœur et du souffle ou de la naissance et de la mort. Elle est porteuse de menaces, mais aussi d’apaisement, elle est à la fois sauvage et domestique. De nombreuses formes d’hybridations et de symbioses sont explorées à différentes échelles : éco-architecture, densité raisonnée afin de préserver des espaces de forêt et d’agriculture, mails plantés, jardins et parcs urbains, microclimats, ménagement de la fertilité du sol et de la biodiversité, agriculture urbaine, recyclage, paysage ; autant de manières de redéfinir la ville comme ville-nature. C’est un autre état d’esprit et de ménagement du vivant qui est engagé.
Un certain nombre de questions se croisent :
- Comment s’approprier le thème de la ville adaptable, qui s’inscrit dans la problématique de la revitalisation urbaine et des pertinences en termes de stratégie d’action et de réactivité, de « vivacité », suivant l’expression du président d’Europan France Alain Maugard ?
- Comment transmettre, dans les dossiers du concours Europan, ce qu’il en est des modes de vie et de la culture du milieu entre local et global, attachement, mémoire et mobilités ?
- Comment évoluent les espaces partagés et les espaces d’en-commun ?
- Comment répondre à l’enjeu de l’adaptation d’espaces inadaptables ? Comment les recréer et comment prendre la mesure de qu’il en est de les représenter et d’imaginer d’autres possibles ?
- En quoi la ville adaptable peut-elle être envisagée comme nouvelle alliance de la ville et de la nature et comme invention d’autres hybridations vivifiantes ?
Didier Rebois : Le premier projet Europan réalisé pour illustrer cette hybridité entre nature et ville se situe à Ceuta en Espagne, sur un territoire de collines qui tombent dans la mer. La question est comment habiter un paysage de cette nature? Les architectes, MGM Morales-Gilles-Mariscal, se sont inscrits dans la logique du bâti proche en prenant en compte la topographie du lieu et en suivant les courbes de niveaux. Les immeubles s’accrochent à la pente comme des blocs, métaphore du rocher, implantés dans ce territoire naturel assez fort. Le projet prend tout son sens grâce à la présence forte de la mer démontrant qu’on peut habiter un espace naturel de manière respectueuse tout en créant un paysage qui mélange nature et artifice.
-2- MODES DE VIE
Chris Younès : Maintenant, nous pourrions voir dans quelle mesure la question des modes de vie, de leur évolution et de la façon dont on habite en particulier, peut être transmise aux équipes. La question de la culture d’un milieu en tant que tel est très importante. Il est frappant de voir dans les différentes interventions comment chacun fait le récit d’un milieu très spécifique. Il est certain aussi que les équipes qui vont concourir seront issues de différents pays et donc ce qui est difficile et qui n’apparaît pas dans les cartes, c’est de comprendre la culture du lieu, les orientations que la ville veut donner dans les transformations, les opportunités, les possibilités d’habiter ou de cohabiter autrement.
Pierre Barros, Maire de Fosses, communauté d’agglomération Roissy Porte de France (FR) :
Ce que peut apporter la ville de Fosses par rapport à cette réflexion sur l’adaptabilité et au travail que peuvent mener les équipes qui participeront au concours, dans un contexte particulier, c’est qu’il faut faire évoluer le modèle économique qui font que les territoires doivent s’adapter. A Fosses, nous avons 9 500 habitants et le site est une petite partie de la ville, mais inscrit dans une mutation dans le cadre du Grand Paris, dans le cadre de la Région Ile de France, dans le cadre d’une gouvernance mise en mouvement par les lois de décentralisation. Cette partie de Fosses, qui est en fait le village historique de la ville, on est dans un processus de construction urbaine directement liée à l’activité agricole qui se résume au rassemblement de 3 à 4 grosses fermes aujourd’hui complètement dépassées en termes d’outils de production agricole, même si c’est le grenier à blé de l’Île de France. Ces fermes sont aujourd’hui entourées par des lotissements, mais que va t-il se passer ensuite de ces bâtiments agricoles, parfois remarquables, qui forment l’intérêt et la typologie de cette ville, souvent à côté d’autres bâtiments classés comme une église du XIe siècle ? Comment fait-on pour conserver des endroits où les agriculteurs peuvent encore produire ? Comment fait-on pour produire une alternative à des modèles agricoles aujourd’hui obsolètes, on a besoin, aujourd’hui, de penser ce que l’on va trouver dans nos assiettes demain, comment développe-t-on du maraichage, comme développe-t-on des filières courtes, etc. Comment faire pour que la région parisienne au niveau agricole puisse subvenir aux besoins en nourriture des franciliens ? Donc c’est tout un ensemble de questions qui tout à coup se cristallisent autour d’un petit bourg, mais qui sont entre le local et le global : il y a des choses à réinventer, à réinterroger. Et on pourrait avoir à travers les réponses Europan un projet assez exemplaire pour répondre à des questions fondamentales pour le développement de l’Île de France. Il s’agit d’une grande métropole qui ne fait que se développer et qui doit savoir aussi préserver ses espaces agricoles, savoir accompagner les mutations économiques qui ont lieu aujourd’hui autour de Roissy comme la fermeture de Peugeot SA Aulnay, avec des dizaine de milliers d’emplois qui vont disparaître. Qu’est-ce qui va se passer au niveau de ces friches, comment fait-on du renouvellement urbain au niveau de ces zones d’activités ? Comment fait-on du renouvellement urbain tout en travaillant sur la densité au niveau des habitations ? Je pense que ce sont des questions passionnantes qui confirment qu’en effet la ville doit être adaptable. Toute intervention de l’homme pour créer quelque part son nid doit faire en sorte qu’elle puisse être réinterrogée et refaite régulièrement.
Chris Younès : Nous voyons bien en tout cas que sur la question de l’espace partagé, il y a l’espace de la parole partagé ; et il y a aussi la question de la direction à prendre. Cette idée d’associer des acteurs, la population, c’est quelque chose qui est en train de prendre une importance énorme. Partager la parole, c’est quelque chose de fondamental. Et certainement, dans l’adaptabilité à des situations singulières, ce sera aussi en associant des conflits, des contradictions, en trouvant des moyens de les faire évoluer et de les faire coexister.
-3- ESPACES INADAPTÉS
Luis Roma, Maire de Vila Viçosa (PT) :
Vila Viçosa est une petite ville au milieu du Portugal, près de l’Espagne avec pour principale activité économique le marbre. Nous avons eu la crise et en ce moment nous avons beaucoup de difficulté, car le marché est devenu très difficile. C’est pourquoi beaucoup d’entreprises ont fait faillite. Du coup, nous avons plusieurs espaces vides. Nous avons même une station de chemin de fer qui ne fonctionne plus. C’est pourquoi nous essayons, à travers Europan 12, de faire quelque chose pour résoudre cette nouvelle inactivité sur un territoire stratégique à l’entrée de la ville. C’est un territoire avec une histoire importante qu’il nous faut prendre en compte dans la régénération de ce secteur.
Christian Mermet, secrétaire de direction de Val-de-Travers, site de Couvet (CH) :
Couvet est un village à l’échelle de la Suisse, environ 2.500 habitants, qui se trouve le long de la Reuse, rivière qui descend du haut de la vallée depuis le Val de Travers jusqu’à Neuchâtel. Le site est un lieu où il y a une culture, une mémoire, et cette mémoire collective a été bouleversée en 1988 par la fermeture de l’industrie du textile. Depuis, le développement a progressé selon les besoins. Certains bâtiments ont été repris et d’autres sont dans un état plus ou moins vétuste. Il est donc intéressant, tout en prenant en compte cette problématique de la mémoire collective bouleversée par la fermeture de ce site, de revaloriser ce site de façon générale en prenant en compte aussi l’aspect nature / constructions industrielles dans un milieu qui est très verdoyant.
Sur le plan programmatique, c’est très ouvert. La réflexion peut porter sur ces différents aspects : le logement, l’industrie ou le commerce. La particularité de ce site, c’est que 95% du foncier appartient au privé. Il y aura donc une interaction obligatoire entre les propriétaires et les propositions qui nous seront présentées.
Jean-Yves Bochet, Conseiller municipal à Saint Herblain (FR) :
St-Herblain se situe à l’ouest de Nantes et a 44.800 habitants. Nous avons proposé un site pour Europan 12 afin d’obtenir un éclairage qui nous manque. Il s’agit d’un site de 70 hectares qui était très identifiant pour la commune dans les années ‘80 lorsque qu’on a créé ce quartier résidentiel innovant à l’époque. Si on devait recréer ce quartier aujourd’hui, on reprendrait le même cahier des charges et les mêmes idées. Toutefois, et peut-être d’autres villes sont-elles confrontées à ce type de problématique, cela ne fonctionne pas aussi bien qu’on le voudrait. Il s’agit d’un quartier avec un habitat très confortable, des déplacements doux et une proximité vers les services. Malgré cela, on a besoin d’un regard extérieur pour le rénover et pour prolonger l’envie d’être là et l’adapter au XXIe siècle. Et ce qui nous a plu dans la démarche Europan c’est ce regard de jeunes architectes européens que nous souhaiterons mettre en œuvre sur notre territoire.
Chris Younès : On voit bien que cette idée de revitaliser les milieux est très importante et que la possibilité d’un récit qui s’adresse à un lieu particulier peut créer un nouveau souffle, une nouvelle énergie, ou en tout cas renforcer l’énergie présente ou en créer une autre si elle a disparu.
-4- RAPPORT VILLE / NATURE
Chris Younès : Nous voyons aujourd’hui la nature comme une possibilité de régénérer l’urbanité, d’habiter mieux là où on est. Il serait donc intéressant d’avoir quelques réactions pour voir quelle forme, quel visage, cela peut prendre. Et de voir aussi dans la façon de faire les appels aux candidats, on peut leur donner des clés pour éviter des réponses trop génériques, comme la ville verte, qui sont beaucoup trop abstraites. Cela a un rapport avec un imaginaire, une symbolique, des réalités physiques, biologiques, climatiques etc.
Kari Hjermann, paysagiste architecte de la ville de Bærum (NO) :
Bærum est une localité située à un peu plus de 10 km d’Oslo et qui compte 116.000 habitants. Le site est à Hamang, dans le quartier de Sandvika, le centre administratif de Bærum. Hamang est à 500 mètres de ce centre et de la gare. C’est une ancienne zone industrielle que nous voudrions développer. Il y a là des bâtiments d’une ancienne usine à papiers qui pourraient trouver de nouveaux usages. L’élément clé de ce site est la présence de la rivière, qui traverse la zone. A cause des risques d’inondations, il y a de larges zones vertes le long des rives à protéger. Nous cherchons donc pour ce projet de nouveaux usages pour la rivière et qui connectent les deux zones : Hamang et Sandvika, où arrive la rivière. Nous souhaiterions également prendre en compte la densité. Nous sommes proches du centre de Sandvika, mais également d’Oslo, et la population augmente, si bien que nous voudrions attirer plus de gens à Sandvika où, aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup d’habitat, mais des fonctions commerciales et de service. Nous avons donc deux demandes importantes : de nouveaux usages pour la rivière et la prise en compte de la densité sans sacrifier la qualité des espaces et des bâtiments.
Lucie Bore, site de Paris-Saclay (FR) :
L’ensemble Paris-Saclay représentent 49 communes qui communiquent autour d’un même projet de développement-recherche-innovation-industrie-éducation. Les projets d’aménagement sont, du coup, recentrés sur certains périmètres. Celui choisi pour Europan a été peu étudié jusqu’à maintenant. Il s’agit d’un site universitaire existant et toujours en fonction et c’est également un site naturel classé, protégé pour sa qualité paysagère. Il est construit, mais ces constructions sont cachées. Ça a été la condition première pour la création du campus. Mais les bâtiments sont tellement bien cachés que le campus est complètement ignoré par les habitants des communes limitrophes. Et les étudiants, chercheurs, enseignants, qui sont environ 15.000 aujourd’hui, ignorent également les centres villes à proximité. L’avantage, c’est un site naturel magnifique, apprécié par ses usagers. L’inconvénient, c’est une très faible intensité urbaine, parce qu’avec des gens qui ne font que l’aller-retour entre domicile et travail pour venir au campus, il y a peu de commerces ou de services sur place, et des cheminements un peu perdus au milieu de la forêt où, le soir, il fait sombre avec des raccourcis boueux sous les bois. C’est donc une façon d’habiter la nature un peu agressive parfois, où la nature peut être un peu hostile. Et les résidents sont eux aussi un peu violents avec cette nature : ils apprécient la vue que procure cette forêt, mais ils ne la fréquentent qu’en voiture. Aujourd’hui, l’enjeu, c’est l’éco-usage. Comment faire pour que ce site profite plus aux habitants résidents et pas seulement aux étudiants et aux chercheurs ? Notamment en multipliant le type d’usages possibles pour en multiplier sa fréquentation. Il faut aussi pour cela multiplier les financeurs. Car aujourd’hui, l’université a peu de moyen pour entretenir l’ensemble des espaces. L’autre question, c’est comment aménager ces espaces ? Entre ce qui est boisé, entre ce qui est éventuellement de la pelouse, entre les berges un peu sauvages d’une rivière qui traverse le site : comment facilite-t-on les usages de ces sites ? Car les laisser à l’état sauvage, cela semble peu approprié. Et du point de vue de l’innovation, la grande question reste : comment favoriser des usages encore inconnus, qui n’existent pas encore ? C’est l’incertitude du futur dont on a parlé. Et s’il y a bien une population qui a des pratiques étonnantes et renouvelées, ce sont les étudiants. Donc comment faciliter de nouvelles pratiques culturelles ? L’âge des étudiants est supposé être l’âge des découvertes et des échanges intellectuels. Comment donc favoriser des usages inconnus et, surtout, comment amener l’ensemble des acteurs à financer des projets sur des usages inconnus, sur lesquels les besoins ne s’expriment pas encore clairement ?
Bernard Landau, directeur adjoint à l’urbanisme de la ville de Paris (FR) :
Comment cette question de la nature peut être posée dans une ville très dense comme Paris ? Chaque ville n’a pas le même héritage, et on sait que Paris n’a pas beaucoup d’espaces verts. On sait également qu’il va être difficile de raser des quartiers du centre historique pour faire des squares. Mais aujourd’hui la façon dont la question entre nature et ville se pose à Paris, c’est plus de nature, mieux dans la ville. On pris conscience que la nature fait partie de la chaîne de biodiversité indispensable à la durabilité des territoires. Et la façon dont nous mettons ce thème sur un territoire périphérique de la ville de Paris, qu’il s’agisse d’un stade, de terrasse végétalisée, de la gestion d’espaces verts, de cités jardins, de la conception de végétaliser des espaces publics gérés par la ville ou d’initiative privée (à la limite dans la façon dont chacun introduit de la nature à son échelle), le sujet serait, peut-être, de mieux réfléchir à la participation de cet ensemble pour rendre une place, qui ne soit pas uniquement contemplative, au vivant naturel dans l’espace urbanisé. Je pense qu’il faut que les villes adoptent un regard un peu nouveau. On est à cheval sur des thèmes de recherche aussi, car lorsqu’on réfléchit à ces sujets-là en termes d’évolution climatique, on peut être amenés à se poser la question des essences qui, dans le futur, seraient plus à même de se développer, et en même temps, on intègre par rapport au phénomène climatique ou de canicule, la nécessité d’avoir de la nature dans les villes.
Chris Younès : La nature peut prendre plusieurs figures comme vous l’évoquiez, et on voit bien que toutes les balades urbaines, toutes ce qui se met en place, aide quelque part à découvrir son milieu dans cette dimension de la biodiversité, dans sa dimension vivante. Au milieu habité sous ses différentes facettes, on rajoute la question : comment un urbain peut-il se cultiver à la nature ? Et lorsqu’on parle d’adaptabilité, en fait on parle d’être capable de vivacité. J’aime beaucoup cette idée de la cité qui est capable de vivre. Dans vivacité, il y a vitalité, la vitalité urbaine, la vitalité de l’urbanité, mais aussi la capacité de réaction à une situation. Ce sera certainement un point très important dans ce thème de l’adaptabilité. Enfin, l’autre point important, c’est l’importance du projet comme récit, comme représentation. Il y a beaucoup d’écrits aujourd’hui qui disent que nous sommes capables de faire beaucoup plus que nous ne pouvons nous représenter, qu’il y a une crise de la représentation. Non seulement, on ne se représente pas tellement le futur, on a du mal à savoir vers quoi on va, mais on a même du mal à se représenter le présent dans lequel on est. Et le projet, quelque part, donne une image, une représentation qui peut faire débat et qui va d’une certaine manière alimenter ce nouveau souffle. Et ce qui va redonner une vivacité à la ville adaptable, c’est de mobiliser ceux qui habitent, ceux qui fabriquent, imaginent, traversent la ville, car ce n’est pas que les experts qui doivent s’occuper du devenir urbain.